Nous confondons trop souvent sagesse et indifférence.
Tout se passe comme si la vertu essentielle du sage était de laisser faire. Vous dîtes à un enfant "sois sage" et l'enfant, qui ne sait pas encore le sens perverti de ce monosyllabe, comprend "ne touche à rien", et l'enfant, par la même, a déjà tout compris.
Être sage, c'est avoir eu toujours les mains blanches de tout, c'est, du reste, se laver les mains de tout ce qui nous gêne, du beau ou bien du laid, du rire ou de la haine, c'est n'en avoir au fond strictement rien à faire d'être ici ou là, là ou là-bas : c'est épouser la cause du lâche qui s'en bat...
Ce sage là est bien plus répandu qu'on ne le croit : il sourit vaguement, et le monde applaudit son calme mesuré et maîtrise de soi, qui ne cachent rien tant qu'un lourd mépris de tout.
Ce sage là n'a jamais été partisan d'une idée bien à lui : profitant à l'étale d'un courant modéré, il n'a hissé la voile qu'au moment d'être vu, afin d'être admiré.
Le véritable sage est quant à lui bien rare : et pour cause, à peine sait-il penser qu'il a déjà un pied posé sur l'échafaud, et l'autre pied grattant le sable du mensonge, pour révéler le Vrai, avant le coup de faux.
Car à la vérité, l'ancien métier de sage n'est jamais à envier : les vieux sages fleurissent dans des contrées en paix, où leur bonne sagesse ne leur servira guère qu'à nourrir en mourant des théories de vers ; et le plus jeune sage, des pays bien en guerre, ne passe pas tant de saisons, car la sagesse enfin n'a jamais constitué qu'un manteau bien trop fin pour supporter l'hiver.
Alors, devant l'équation lasse, qui tend à faire du sage un mort, un isolé, ou juste un pauvre con, j'admets pour vérité cette phrase d'Amiel, allègre de promesses,
Le monde est à la Volonté
bien plus qu'à la sagesse
♥